La crise à la frontière gréco-turque expliquée

En questions/réponses

Des milliers de personnes bloquées entre Turquie et Grèce

Le 27 février, le président turc Recep Tayyip Erdoğan annonce que les personnes réfugiées en Turquie ne seraient désormais plus empêchées de quitter le sol turc pour rejoindre l’UE, ce qui déclenche le déplacement de plusieurs milliers de personnes vers le territoire grec. Or la Grèce n’a pas ouvert les frontières de son côté.

Depuis fin février, des milliers de personnes en demande de protection sont bloquées dans un no man’s land entre la Turquie et la Grèce, sans accès aux services de base. Elles sont violemment repoussées par la police, l’armée et les forces spéciales grecques, avec le soutien de l’UE, via son agence de “protection des frontières”, Frontex.

Quelle est la réaction de l’Union européenne (UE)?

Des méthodes violentes sont utilisées pour empêcher les migrants de passer la frontière côté grec. Des personnes ont été gravement blessées. Parmi les victimes, on compte au moins un enfant, mort dans un naufrage au large des côtes de Lesbos, et un jeune homme, tué après avoir été touché par une balle en caoutchouc tirée par des militaires grecs. De nombreux moyens d’intimidation sont utilisés: des personnes ont été visées par des gaz lacrymogènes, et des garde-côtes grecs ont tiré à balles réelles sur un bateau de réfugiés.

Est-ce légal?

Non. Comme l’indiquent de nombreux textes de protection des droits humains fondamentaux (*), toute personne a le droit de demander l’asile et de ne pas subir la torture ou des traitements inhumains et dégradants. Les États ne peuvent donc pas refouler les personnes vers des pays où elles risquent de tels traitements.

Pourtant, la Grèce a décidé de suspendre les possibilités de demande d’asile pendant un mois à compter du 1er mars et repousse massivement les migrants, avec l’aide de l’UE. 

Selon le droit européen et international, chaque personne a le droit que sa demande soit examinée de manière individuelle. Ces “push backs” – repousser des groupes de personnes sans leur permettre de déposer une demande d’asile – sont illégaux.

L’UE s’est engagée à respecter des valeurs et des Conventions internationales pour accueillir des personnes vulnérables en besoin de protection. Au lieu de cela, elle les écarte massivement. Cette situation est extrêmement grave.

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(*) Les dispositions violées par l’Union européenne sont:

Droit d’asile

Interdiction de torture, de traitements inhumains ou dégradants

Interdiction d’expulsions collectives

En 2015,

notamment suite à l’intensification des conflits, beaucoup de Syriens – entre autres – ont pris la route de l’exil, forcés de fuir leur pays, en direction de zones plus sûres. Certains d’entre eux se sont dirigés vers l’Union européenne, passant alors par le chemin le plus court: via la Turquie.

18 mars 2016: conclusion d’un accord entre la Turquie et l’Union européenne (UE)

  • Lequel?

Les dirigeants de l’UE ont signé un accord historique avec la Turquie. Celui-ci implique que les demandeurs d’asile arrivés irrégulièrement sur les îles grecques – c’est-à-dire sans visa – seront renvoyés vers la Turquie et que la Turquie s’engage à retenir les personnes sur son territoire pour les empêcher d’aller en Europe.

(pour en savoir plus: Un an de l’accord UE-Turquie: un triste anniversaire et un lourd bilan humain)

  • Pourquoi?
Objectif officiel

La lutte contre les passeurs et les trafiquants, jugés seuls responsables par l’UE des milliers de morts en mer Méditerranée… Mais la politique migratoire de l’UE, basée sur du protectionnisme via l’Agence Frontex, engendre des milliers de morts à nos frontières

(pour en savoir plus : Frontex, une agence dangereuse?)

Objectif réel

Inciter les personnes exilées à rester en Turquie et les dissuader de venir en Europe. En d’autres mots : délocaliser ses frontières en empêchant les migrants d’atteindre l’Europe pour pouvoir y déposer une demande d’asile. En ce sens, cet accord a été très largement dénoncé par les ONG et les citoyens. Il s’inscrit en effet dans une politique européenne “d’externalisation” avec des mesures qui visent à sous-traiter la gestion migratoire à des pays hors UE, dans le but de bloquer les personnes en exil le plus loin possible des frontières européennes.

Système des hot spots, centres de tri et de détention des migrants sur les îles grecques et italiennes, accord Lybie-Italie en 2017, opération de push backs en mer, accord de réadmission… Toutes sont des mesures de cette politique d’externalisation.

(pour en savoir plus: L’externalisation des politiques européennes en matière de migration et L’externalisation du droit d’asile et de la gestion des frontières par l’Union européenne)

27 février 2020: La Turquie ouvre ses frontières vers la Grèce

  • Quoi?

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan annonce que les personnes ne seraient désormais plus empêchées de quitter la Turquie pour rejoindre l’UE. Les réfugiés se dirigent alors vers la frontière avec la Grèce, et découvrent en y arrivant qu’elle n’est pas ouverte. Ils se retrouvent ainsi coincés dans un no man’s land entre la Grèce qui ne les laisse pas passer et les forces turques qui les empêchent aussi de faire demi-tour.

  • Le contexte

L’armée turque a combattu les troupes de Bachar Al-Assad au nord-ouest de la Syrie, dans la région d’Idlib et de nombreux soldats turcs sont morts lors d’une offensive. Depuis décembre 2019, des centaines de milliers de Syriens fuient vers la frontière turque, pour l’instant fermée. Dans ce contexte, la Turquie a réclamé le soutien de l’UE en demandant notamment qu’elle lui verse les 3 milliards restants sur les 6 milliards prévus dans le cadre de l’accord de 2016. L’UE a refusé. Erdoğan a ainsi utilisé les réfugiés présents sur son territoire comme moyen de pression dans son chantage avec l’UE.

Quelles suites, doit-on s’attendre à une nouvelle “crise des réfugiés”, comme en 2015?

  • Non, il ne s’agit pas d’une “crise des réfugiés”, mais bien d’une crise des politiques migratoires européennes, qui ont jusqu’à présent failli à répondre aux mouvements migratoires. On peut véritablement parler de “crise de l’accueil”.
  • Dans le cadre de l’accord de 2016, l’UE a décidé de stopper des personnes dans leur chemin d’exil en demandant à la Turquie de les garder sur son sol. En toute logique, en 4 ans, beaucoup de personnes se sont retrouvées bloquées en Turquie. Il est hypocrite de la part de l’UE de s’en étonner. Si ces personnes avaient été réparties au fur et à mesure sur le territoire européen dans un système réfléchi et solidaire entre États membres, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
  • Dans le cas de la Grèce qui est arrivée à saturation de ses moyens, la crise de l’accueil existe déjà, et sa demande de soutien à l’UE n’est pas entendue. L’Italie, qui est un pays d’entrée sur le territoire européen vu sa situation géographique connait une situation similaire mais beaucoup moins aiguë. Au niveau des autres pays européens, on ne peut pas parler de crise.

Quelles solutions?

  • L’UE doit mettre fin à l’application de l’accord conclu avec la Turquie en 2016.
  • L’UE doit ouvrir des voies d’accès légales et sûres de telle sorte que les personnes en besoin de protection puissent:

          – Soit faire leur demande d’asile depuis des pays tiers, hors UE

          – Soit venir de leur pays d’origine via des chemins sûrs, afin de demander l’asile en Europe.

Pour en savoir plus: La nécessaire création de voies d’accès légales et sûres au territoire européen 

Le modèle utilisé jusqu’à présent par l’UE alimente le trafic des passeurs car il oblige les personnes en exil à utiliser des moyens illégaux et dangereux pour pouvoir venir demander protection en Europe. Les États-membres de l’UE, dont la Belgique, doivent avoir le courage de changer de modèle.

  • L’UE doit réformer le Règlement Dublin et mettre en place une politique de répartition des demandeurs d’asile sur le territoire européen, de telle sorte que les personnes puissent demander l’asile dans tous les pays de l’UE, et pas seulement les pays d’entrée géographique. Le système de répartition sur base volontaire n’a pas fonctionné ; l’UE doit maintenant rendre ce système contraignant et imposer un quota de demandeurs d’asile à chaque pays européen.

Pour en savoir plus: De l’urgence de repenser le système Dublin et Le Règlement Dublin: perspectives européennes 

  • L’UE doit renforcer l’appui humanitaire à la Turquie et aux autres pays limitrophes de la Syrie.
  • 6 milliards d’euros: montant promis à la Turquie par l’Union européenne dans le cadre de l’accord (source)
  • 2,36 milliards d’euros: montant alloué à Frontex, l’Agence européenne de « protection des frontières » pour la période 2014-2020. Un renforcement de 1,3 milliard a été annoncé en septembre 2018. 11,3 milliards d’euros sont alloués à Frontex pour la période 2021-2027. (sources ici et ici)
  • 700 millions d’euros: somme supplémentaire versée à la Grèce par l’UE pour la gestion des frontières, les infrastructures et l’intensification des refoulements. (source)
  • 3,6 millions de réfugiés syriens sont accuillis en Turquie depuis 2015, souvent dans des conditions difficiles. (source)
  • 40.000 personnes attendent de recevoir l’asile dans les « hot spots » dans cinq centres d’accueil, parfois depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Ceux-ci sont pourtant prévus pour 6.000 personnes au maximum. Ces centres sont donc remplis avec 6 fois plus de personnes que ce pour quoi ils sont prévus. Les conditions de vie y sont horribles. Plus d’1/3 sont des enfants. (source) Le tristement célèbre camp de Moria, situé sur l’île de Lesbos, rassemble plus de 20.000 personnes alors qu’il est prévu pour 2000 à 3000 personnes. (source)

(lire à ce sujet: entretien avec Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU)

  • 13.000 personnes au moins sont aujourd’hui coincées entre Turquie et Grèce. (source)

La situation qui se joue aux portes de l’Europe aujourd’hui est révoltante. L’UE, qui mène une politique migratoire criminelle depuis des années, fait aujourd’hui un pas plus loin dans l’ignominie. Partagez ces informations autour de vous. Informez-vous, informez vos proches. Indignez-vous, insurgez-vous.

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