Les visages de l’accueil: Hélène

Ce qui nous fait peur, c’est de constater que l’État ne respecte pas ses lois. L’État de droit est menacé.”

Hélène Crokart, avocate au barreau de Bruxelles depuis quinze ans, spécialisée dans les droits humains et le droit des étrangers.

Depuis plusieurs années, je suis investie au sein du bureau d’aide juridique, qui permet d’aider des personnes qui sont généralement sans ressources. Je milite pour qu’elles aient un meilleur accès aux droits, à un·e avocat·e et à la justice en général. Il y a deux ans, Je suis devenue la cheffe de la section MENA.

C’est notamment avec cette casquette que j’ai été très impliquée dans la crise de l’accueil, il y a deux ans. J’habite juste à côté du Petit Château et je passais devant tous les matins. J’ai donc commencé à faire quelques permanences juridiques dans la rue pour pouvoir recueillir les annexes 26 des personnes concernées et introduire des requêtes unilatérales, ce qui était tout à fait inhabituel à l’époque. C’était le début de cette pratique qui est devenue la norme. Il y en a maintenant des milliers qui ont été introduites.

On s’est structuré petit à petit avec d’autres avocat·es, on a créé un groupe de volontaires spécifique au sein du bureau d’aide juridique et une permanence juridique pour pouvoir donner des conseils et réorienter vers un·e avocat·e. On a très vite eu des milliers de personnes qui ont convergé vers cette permanence. C’est devenu le point central dans la crise de l’accueil, la porte d’entrée vers l’accès à la justice.

Au début, on pensait qu’on allait devoir la maintenir pendant quelques semaines, mais elle est toujours en place aujourd’hui. On a donc dû former des avocat·es bénévoles au droit des étrangers.

A côté de ça, j’ai défendu des centaines de personnes individuellement, en introduisant des requêtes unilatérales et en veillant à ce qu’elles soient exécutées. C’était le cas au début, puis FEDASIL nous a forcé à passer par un huissier de justice. Maintenant, même en respectant toutes les procédures, les exécutions immédiates ne sont pas respectées et le délai d’attente pour avoir une place dans le réseau d’accueil est de plus en plus long, autour de six mois.

Nos stratégies juridiques ont donc évolué avec le contexte.

En plus de FEDASIL, on a mis l’État belge en cause et on a aussi introduit des procédures devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Ces procédures sont devenues systématiques par la suite. Au début, c’était efficace, la Cour imposait à l’Etat belge de prendre des mesures urgentes et provisoires pour respecter les décisions de justice déjà obtenues et héberger nos clients. FEDASIL y donnait suite. Et puis, l’Etat belge a ignoré ces injonctions de la Cour européenne des droits de l’Homme, tout comme il laisse lettre morte les décisions de justice belges.

On a aussi tenté les occupations, avec le palais des droits, le centre fédéral de crise, TocTocNicole… Ces occupations sont aussi des stratagèmes juridiques, mises en place par des activistes qui occupent concrètement les bâtiments. Nous, on apporte un soutien juridique et on défend les droits des occupants devant les tribunaux. On obtient à chaque fois de très belles victoires, avec des relogements et de nombreuses condamnations de FEDASIL et de l’État belge.

Plusieurs autres étapes juridiques arrivent, mais ça reste décourageant de constater que ça ne sert pas à faire bouger les lignes politiques.

L’année dernière, on a organisé symboliquement l’enterrement de l’État de droit. Car c’est de ça qu’il s’agit. Depuis, les choses empirent. À chaque victoire juridique, la secrétaire d’État s’empresse d’annoncer qu’elle ne respectera pas les décisions.

Ce qui nous fait peur, c’est de constater que l’État ne respecte pas ses lois. Le respect de la séparation des pouvoirs, c’est vraiment un des piliers de l’État démocratique. L’État de droit est menacé. Et ça se fait sans grande émotion, on ne sait plus quoi dire tellement c’est grave. On a l’impression que tout le monde s’accommode de cette situation qui devrait nous révolter et nous inquiéter, au-delà même de celleux qui s’inquiètent de la situation des demandeur·euses d’asile. On détricote l’État de droit, personne n’en ressort gagnant.

On est face à quelque chose d’inédit, par son côté systématique, massif, s’inscrivant dans la durée. Mais aussi par le mépris des autorités qui assument publiquement le fait de ne pas respecter des décisions de justice.

La secrétaire d’État va même plus loin, en disant par avance qu’elle violera la loi, comme elle l’a fait lors de son annonce sur le non-accueil des hommes seuls. Ce n’est pas à elle de décider, il y a une loi qui prévoit ça. Ce n’est pas sa volonté qui prime: c’est du droit national, du droit international, du droit européen. Même quand le Conseil d’État suspend en extrême urgence cette mesure, elle annonce qu’elle ne respectera pas cette décision. On marche sur la tête !

Malgré cette situation, les demandeur·euses d’asile nous font souvent confiance. Mais comme rien n’est clair et transparent du côté de FEDASIL, on ne peut jamais rien promettre. C’est aussi quelque chose qu’on reproche à l’administration: il y a une obligation d’information et de transparence et là, on est dans le flou le plus total et c’est tout aussi scandaleux.

Cette « crise » surcharge tout le système de justice, et impacte aussi d’autres justiciables. C’est le tribunal du travail qui est compétent et qui est noyé par ce contentieux sur l’accueil. Il y a donc des délais d’attente pour les autres matières qui sont traitées par le tribunal du travail, comme les conflits avec un CPAS, une incapacité de travail, un contrat de travail, un licenciement…

Cette crise de l’accueil, pour le monde judiciaire, c’est une charge de travail énorme, une charge mentale colossale et c’est humainement très compliqué. C’est aussi une remise en question de notre métier: à quoi sert le système judiciaire ? À quoi ça sert de continuer comme ça ? Il y a un vrai sentiment d’impuissance.
Il faut aussi se rendre compte que toutes ces procédures coûtent une fortune à l’État.

L’épuisement face à cette situation et le mépris du pouvoir exécutif est partagé par tout le monde autour de moi.

Les visages de l’accueil est un projet porté par le CIRÉ et Vluchtelingenwerk Vlaanderen.

Photos: Justine Dofal

Avec le soutien du Hub humanitaire et du Samusocial

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